mardi 7 janvier 2014

Clone

Clone

Je m’appelle Clone.
Je sais, c’est pas très courant comme prénom. Mon nom de famille ? Pire. Corpse. Accessoirement, c’est « cadavre » en anglais. A la rigueur, j’aurais préféré celui de ma mère -Ashen. Enfin. Il faut vivre sa vie sans regrets. Et puis, on s’y fait.
J’ai 17 ans depuis février. Le 5. Je suis née aux Etats-Unis, je mesure 1m75, je pèse 54,02 kg et je n’ai ni tache de naissance, ni grain de beauté sur le visage, ni yeux vairons ou autre ; bref, normale quoi.
Maintenant que j’ai fini ma carte d’identité, allons à l’essentiel. Je suis le premier clone humain –réussi, j’entends. Et oui. Il a fallu que ça tombe sur moi. Ma « sœur », c’est Mary. Je vous passe sa description physique, elle est comme moi.
Oh, sans doute pensez-vous que je devrais me réjouir. Dans le milieu scientifique, je suis une célébrité (même si, soit dit en passant, je n’ai rien fait pour ça). Des centaines de personnes ont assisté à ma naissance. Youpi.
Pour l’instant je n’ai développé aucune maladie prématurée.
Mais je suis le symbole d’un triomphe. Je n’ai d’ailleurs l’impression de n’être que ça. Que le sujet d’une simple expérience.
Pensez à votre chance. Vous avez été désiré, au moins un temps.
Pas moi.
Je ne vais pas m’étendre sur ma naissance plus avant. Vous savez ce qu’il suffit de savoir. Même si on ne dirait pas, je ne suis pas du genre à m’appesantir sur mon malheur. J’essaye de prendre la vie du bon côté –si tenté est que la vie ait un côté. 
Mes amis qualifient ma façon de voir les choses d’optimisme cynique. J’aime bien.
Oui, parce que j’ai quand même des amis. Je vous présente Carrie, mon âge, la blonde aux yeux bleus qui attend son bus là bas. Il vient de passer, mais je crois qu’elle était trop distraite pour le voir. Par Maxence, le gars à côté d’elle. Sûr qu’ils vont finir ensemble, ces deux là.
Il pleut, et attendre sous l’abribus n’est pas mon activité favorite. Il faut prendre son mal en patience. Ou écrire sa vie sur son cahier de philo, au choix.
Je dérive. Donc Carrie, vous l’avez vue : mon meilleur ami, on ne le voit pas d’ici, il est déjà rentré. Son père vient le chercher, le veinard. Ray, cheveux bruns, un asiat’ intello si vous aimez les clichés.
Mes parents ne voulaient pas vraiment de moi. Plutôt pas du tout même.
Je sais, vous mourrez d’envie d’entendre que je déteste mes parents et que c’est réciproque. Et bien, c’est fait. Pour ce qui est de la vérité, on n’en est pas loin. Mes parents ont été grassement payés. Mary est, pardonnez moi l’expression, une vraie pétasse.
Me considérant comme quelqu’un de bien, normal qu’on ne s’entende pas. Loin de moi l’idée de la copier !
Quand je me regarde dans un réflecteur à boutons le matin, celle que je vois c’est bien moi, pas elle.
Le bus arrive.
***
Vous devez être assez surpris par le cours de mes pensées relativement hétéroclite. Comme la plupart des gens en fait, mais peu prennent la peine de l’écrire.
On me dit que je suis amère. Dans ce que je dis. Je comprends ça comme ironique.
C’est quand même étrange comme expression. Quel rapport avec le goût ?
Pourquoi un sens péjoratif pour une saveur semblable aux autres ?
Je me cherche. Pas de questions existentielles non plus, mais ça me pose un problème, cette histoire de clonage. M’enfin, on réfléchit aux conséquences psychologiques avant de faire ça !
Et si je devenais une détraquée ?

Pff. Ça m’énerve, les gens bêtes. Ou plutôt non, ceux qui ne prennent pas le temps de réfléchir. Du genre ; « C’est quoi ce que t’as dans la main ? Ah non rien d’accord ».
C’est à se taper la tête contre un mur. Je le fais des fois, d’ailleurs. Essayez, ça défoule.
Mary entre dans la chambre où je me suis réfugiée. En fait, je crois que c’est la sienne. Elle me lance un regard noir, que je feins d’ignorer.
-          Immédiatement, Clone. J’te le dirais pas deux fois.
Je ferme mon cahier de philo, sinon la garce va en profiter. A tout de suite.
***
Je suis exilée dans ma propre chambre. Autant en profiter pour vous la décrire.
J’ai un demi-bureau dans un coin. Je l’ai scié. La deuxième moitié est retournée et bourrée de coussins. C’est confortable. J’ai pas de tapis. C’est dommage, c’est toujours réconfortant d’avoir un tapis. En particulier quand on travaille par terre au lieu d’utiliser sa moitié de bureau.
Sinon, mon matelas est posé par terre. J’ai dressé une sorte de tente avec des draps autour. Au moins j’y suis tranquille, et je me fiche que Mary appelle ça mon « trou à mites ».
Je m’imagine au lycée. Demain, un nouveau arrive. Carrie me l’a dit. Quelques clichés ;
-          Soit c’est un dragueur, dans ce cas, ciao bello
-          Soit c’est un mec qui se croit drôle, qui ne tardera pas à m’aborder par un « Mary, c’est ta sœur jumelle ? »
-          Soit c’est un timide, et hop débarrassée des questions
-          Soit quelqu’un de sombre qui se la joue rebelle, très peu pour moi.
J’aime que la vie me défasse des préjugés.
On verra ça demain.
***
On a exaucé mon vœu. Ce type est tout simplement inclassable. Il a un sourire plaqué sur le visage. Ce n’est pas un sourire crispé, mais il est constant. Il ne change jamais d’expression. Sourire simple et yeux neutres. Il ne parle pas ; mais il n’est pas pour autant timide. Il n’est pas beau, mais il a plus de charme que quiconque.
Pourtant, sa face figée inspire un sentiment de peur sourde. Comme un robot sans émotion.
Il m’intrigue. Et c’est bien la première fois que je quitte mon air perpétuellement blasé. J’ai osé lui demander comment il s’appelait.
Avec le même sourire, il m’a écrit sur un papier, d’une belle écriture fine qu’on aurait crue de main féminine ; Ilias.
C’est étrange comme prénom.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de le frapper. Qu’il cesse de sourire. « Ilias Endrome », indique son carnet. Je lui ai amicalement emprunté.
Je cherche une explication. Peut-être a-t-il été choqué à vie ? Ou alors c’est vraiment un robot. Ce serait dommage.

Je viens de me relire ; pourquoi j’ai marqué ça ? N’importe quoi. Je m’en fous, qu’il soit un robot ou pas. Ça m’est royalement égal. Il m’intrigue, c’est tout. N’allez pas vous faire des idées.
J’ai juste envie de lui coller mon poing dans la figure. Et en même temps, je veux sauvagement le revoir.
Mes repas commencent par le son d’un micro-onde, finissent par le tintement des couverts. Je ne mange pas avec Mary. On est très bien comme ça. Sa mère ne cuisine pas pour moi, je me sers en surgelés.
En fait, je ne sais pas si c’est si bien que ça. Au fond de moi je crois que j’aurais voulu avoir une sœur complice et des parents à aimer.
Je me demande si quand on veut, on peut. Vraiment.
***
Je le revois ce matin, debout, les yeux perdus dans le vague avec son éternel sourire insensible. Pourquoi ne parle-t-il jamais ?
- Ça roule, Ilias ? je le frappe. Le sourire disparaît.
Puis il me regarde, intrigué, et m'effleure la joue de sa main. Un geste hésitant, furtif, dont je ne sais que penser.
Je lui demande pourquoi il sourit comme ça. Il m'écrit que les gens sont hypocrites et menteurs. Lui veut que son masque soit apparent aux yeux de tous.
Je lui demande pourquoi il ne parle pas. Il me répond qu’il garde ses mots pour les personnes qui lui sont précieuses.
Je lui demande qui l'est, pour lui. Il part en souriant de nouveau.
Il m'énerve.


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