mardi 7 janvier 2014

La Route de Nulle Part

-------------La Route de Nulle-Part---------------------------------------------------------------


La Route de Nulle-Part. Il passe devant chaque matin pour se rendre à son école. Il sait bien que ce n’est qu’un nom, mais cette rue tourne à angle droit et il n’en a jamais vu le bout. Ce serait idiot, de changer son trajet juste pour ça. Il passe donc devant chaque matin, n’accordant qu’un regard à l’allée vide. Tout de même, ça l’intrigue. Pas au point de le distraire pendant les cours, non, quand il n’y est pas il n’y pense pas. Il se dit qu’un jour il fera le détour, juste pour voir. Mais sur le moment il n’ose pas. Pourtant personne ne le regarde, mais il ne sait pas, c’est quand même stupide de faire ça.
Cela fait deux mois qu’il traverse le passage piéton en jetant un œil à la Route de Nulle-Part. Il se met à maudire l’imbécile qui l’a appelé ainsi. Ça n’a pas de sens, une rue, ça finit forcément quelque part ! Ça devait être un poète dans l’âme, encore quelqu’un qui se croit au-dessus des autres. N’empêche, il a déjà essayé de se pencher un peu (tout juste assez pour que ça ne se remarque pas) afin de voir le bout de la route derrière ce tournant de malheur. Mais le virage est trop serré, la rue trop étroite. Il faut vraiment aller dans la direction pour en apercevoir la fin.
Il se dit, mais si c’est une impasse, j’aurais bien l’air bête une fois arrivé devant le mur ! En même temps, qu’est-ce que ça lui coûte hein, qu’est-ce qu’il en a à foutre de ce que les gens pensent ? Il y a des gens bien plus tarés que lui, non ? Ca y est, il est résolu, promis la prochaine fois il ira.
Mais ses jambes ne répondent pas au moment voulu, elles sont trop habituées à ce chemin se dit-il, pour ne pas s’avouer qu’il s’est de nouveau défilé. Tant pis, il rattrapera ça demain. Enfin il l’espère.
Le lendemain est un jour de brouillard. Pourtant c’est assez rare en ville, d’ailleurs il croit bien que c’est la première fois qu’il en voit ici. L’air est humide, et c’est assez désagréable de ne pas voir devant soi. Il se dit que c’est pas avec cette purée de pois qu’il va réussir à voir le fond de la Route de Nulle-Part.  Il s’apprête à repousser encore d’un jour son escapade quand sa curiosité prend le dessus. Mais non, lui dit-elle, vas-y justement personne ne te verra aujourd’hui ! Et si tu retarde ça encore, tu n’iras jamais, crois-moi. Un peu de volonté pour une fois ! Tes jambes n’écoutent que ton cerveau , alors fonce ! Et il est décidé, ça y est, il y va.
Le trottoir se dévoile pas à pas sous ses pieds, ça le rend impatient mais en même temps, il prend plaisir à aller à l’allure d’une tortue unijambiste. La route tourne depuis tout à l’heure, et pas une seule bifurcation. Le brouillard et l’aventure aidant, il commence à se demander si elle ne mène pas vraiment nulle part, cette rue. Il oublie totalement qu’il a cours, qu’il va être noté absent, que lorsqu’il arrivera tout rouge et essoufflé dans la salle de classe ses camarades riront sous cape. Il oublie que le retard sera noté sur son bulletin, il n’imagine pas ses parents le regarder avec un curieux air méfiant en lui demandant pourquoi il a été en retard. Non, à ce moment, il n’éprouve qu’une joie enfantine à marcher seul dans la brume, dans la Route de Nulle-part.
Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas laissé aller ainsi, sans refouler ses sentiments, sans chercher à être le plus fort, le meilleur, l’insensible. Il le réalise sans trop y penser.
 Enfin, il s’arrête. On ne voit pas à deux pas devant soi, mais il sait, instinctivement, qu’il doit s’arrêter. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Il a beau savoir que c’est crétin, de sourire tout seul, il ne peut pas s’en empêcher. Il fait demi-tour sagement.  Dans le brouillard, mais l’esprit enfin clair.
Il n’a pas atteint le bout de la Route de Nulle-Part. 

Il a compris qu’un mystère garde son parfum secret et aventureux seulement lorsqu’il n’est pas découvert.


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