jeudi 20 juin 2013

Après le pont

Après le pont 

Debout sur le pont.

Pont de pierre aux fleurs éparses, des racines lentement enserrent ses blocs.  Elle sait qu’il ne va pas durer. Mais elle ne peut s’empêcher de contempler, encore et encore, la rive qu’elle abandonne.

D’ici, les champs semblent ensoleillés et l’air doux. Un large sourire est peint dans le ciel, des rubans colorés dansent dans le vent. Des sandales claquent et s’esclaffent près d’un lac pur. Elle sent  un parfum d’amande et d’olivier chatouiller ses narines. Quelle joie ce serait de pouvoir y retourner !

Fait-elle le bon choix ? Elle n’a pas le choix. Le temps la presse...  Ses premiers pas sont hésitants. C’est un déchirement de se retourner vers ce qui l’attend. L’autre rive, elle, a perdu ses papillons.

D’ici, les champs semblent fanés et l’air étouffant.  Des êtres gris se bousculent, se hâtent, se haïssent et se mentent. Les immeubles aveugles écoutent leur affairement. Elle le sait, la vie ira plus vite une fois de l’autre côté. Quelle tristesse ce sera de devoir y entrer !

Debout sur le pont, elle avance. Ses cheveux foncent, l’étincelle dans ses yeux disparaît. Ses joues rouges ternissent et elle laisse une innocence de cristal se briser sur la pierre : irréversiblement. Croit-elle n’être pas affectée par ces changements ? C’est le début du mensonge, celui que l’on écrit à soi-même.

A la moitié du parcours, les doutes l’assaillent. Planant au-dessus d’elle, ils finissent par fondre en piqué et tenter de la pincer au passage. Déséquilibrée, elle s’accroche à la balustrade et se retrouve penchée au-dessus du fleuve. Son reflet est brouillé. Qui est-elle désormais ? Elle ne sait plus.

Elle trébuche sur une racine traîtresse. Elle tombe. Ça fait mal. C’est la première fois qu’elle ressent cette douleur. Elle se relève, péniblement, continue bon gré mal gré. Une fleur qui a poussé sur le pont la rassure. Tout n’est pas sombre comme ces plantes rampantes.

Elle est devant le nouveau monde. Elle est prête. La main temporelle l’y pousse, doucement. Tout n’est plus si gris. De nouveaux visages lui sourient. Une main se tend, amicale. Elle se laisse embarquer. Elle comprend plus et mieux. Elle s’est enfin retrouvée.

Adulte.


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