Après le pont
Debout sur le pont.
Pont de pierre aux fleurs éparses, des racines lentement
enserrent ses blocs. Elle sait qu’il ne
va pas durer. Mais elle ne peut s’empêcher de contempler, encore et encore, la
rive qu’elle abandonne.
D’ici, les champs semblent ensoleillés et l’air doux. Un
large sourire est peint dans le ciel, des rubans colorés dansent dans le vent. Des
sandales claquent et s’esclaffent près d’un lac pur. Elle sent un parfum d’amande et d’olivier chatouiller
ses narines. Quelle joie ce serait de pouvoir y retourner !
Fait-elle le bon choix ? Elle n’a pas le choix. Le
temps la presse... Ses premiers pas sont
hésitants. C’est un déchirement de se retourner vers ce qui l’attend. L’autre
rive, elle, a perdu ses papillons.
D’ici, les champs semblent fanés et l’air étouffant. Des êtres gris se bousculent, se hâtent, se
haïssent et se mentent. Les immeubles aveugles écoutent leur affairement. Elle
le sait, la vie ira plus vite une fois de l’autre côté. Quelle tristesse ce sera
de devoir y entrer !
Debout sur le pont, elle avance. Ses cheveux foncent,
l’étincelle dans ses yeux disparaît. Ses joues rouges ternissent et elle laisse
une innocence de cristal se briser sur la pierre : irréversiblement. Croit-elle
n’être pas affectée par ces changements ? C’est le début du mensonge,
celui que l’on écrit à soi-même.
A la moitié du parcours, les doutes l’assaillent. Planant au-dessus
d’elle, ils finissent par fondre en piqué et tenter de la pincer au passage. Déséquilibrée,
elle s’accroche à la balustrade et se retrouve penchée au-dessus du fleuve. Son
reflet est brouillé. Qui est-elle désormais ? Elle ne sait plus.
Elle trébuche sur une racine traîtresse. Elle tombe. Ça fait
mal. C’est la première fois qu’elle ressent cette douleur. Elle se relève,
péniblement, continue bon gré mal gré. Une fleur qui a poussé sur le pont la
rassure. Tout n’est pas sombre comme ces plantes rampantes.
Elle est devant le nouveau monde. Elle est prête. La main
temporelle l’y pousse, doucement. Tout n’est plus si gris. De nouveaux visages
lui sourient. Une main se tend, amicale. Elle se laisse embarquer. Elle
comprend plus et mieux. Elle s’est enfin retrouvée.
Adulte.
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